Docteur Maria Betti a été la première gagnante du Prix Monte-Carlo FdA en 2012 pour avoir créé un centre de recherche sur l’acidification des océans au sein de l’AIEA. Comment cette activité est-elle en train de se dérouler ?
L'OA-ICC (Centre International de Coordination contre l'acidification des océans) est un projet lancé lors de la conférence Rio + 20 des Nations Unies en 2012 suite aux préoccupations croissantes des États membres de l'AIEA concernant l'acidification des océans.
Le Centre a comme but principal de répondre à la nécessité de coordonner, promouvoir et faciliter les activités mondiales. Le public cible n'est pas seulement des scientifiques, mais tout groupe ou individu intéressé par l'acidification des océans, tels que les décideurs politiques, les médias, les écoles et le grand public.
L’acidification des océans représente une menace réelle pour tous ceux qui dépendent de la mer et de ses ressources au cours des années suivantes. L’acidification des océans est devenue l’une des principales menaces globales du XXIe siècle pour les organismes marins, les écosystèmes et les ressources et constitue l’objectif spécifique de l’Objectif de développement durable 14.3 des Nations Unies. Cet «autre problème du CO2», encore mal connu du grand public, peut avoir des conséquences socio-économiques potentiellement dramatiques pour les pays dépendant des ressources marines, en particulier les pays ayant des possibilités limitées de moyens de subsistance alternatifs.
Cette problématique extrêmement actuelle a été l'un des sujets mis à l'honneur par le IAEA Scientific Forum 2018 ''Nuclear Technology for Climate: Mitigation, Monitoring and Adaptation'', achevé en Septembre dernier, confirmant la centralité de ce thème dans le débat politique present.
L’intérêt que je porte à ce problème remonte à plusieurs années. Mon travail de recherche à ce sujet avait débuté lors de ma prise de service auprès du Centre Commun de Recherche de la Commission Européenne et je me réjouis d'avoir eu le privilège de diriger la création de ce centre d’excellence d'autant plus que depuis les résultats remportés par cette initiative semblent être très encourageants. Au fur et à mesure que les activités de recherche mondiales sur l’acidification des océans et les facteurs de stress connexes continuent de se développer, il existe un besoin évident de coopération scientifique mondiale efficace. OA-ICC travaille à la création d'une communauté de recherche forte sur l'acidification des océans à travers le monde, donnant accès à la formation, aux outils, aux ressources et aux opportunités de réseautage et de collaboration régionale et internationale, soutenant directement les États membres.
Aujourd’hui, vous dirigez, au sein de la Commission Européenne, au Centre de Recherche Commun (Joint Research Centre, JRC), la fonction responsable pour la sûreté et la sécurité nucléaires en Allemagne. En quoi consiste l’activité de cette direction ?
La direction du Joint Research Centre (Centre Commun de la Recherche) responsable pour la sûreté et la sécurité nucléaires a pour mission la mise en œuvre du programme de recherche et de formation Euratom, la maintenance et la diffusion des compétences nucléaires en Europe auprès de ses Etats Membres. Une coopération et une complémentarité fortes avec leurs organisations nationales revêtent une grande importance. JRC est également un partenaire clé actif dans les réseaux internationaux et collabore avec des organisations internationales telles que l'IAEA et d'éminents instituts universitaires et de recherche à l'échelle mondiale.
Environ 470 personnes travaillent dans ce domaine, principalement auprès du site JRC basé à Karlsruhe en Allemagne, tandis que d'autres programmes de recherche similaires sont également réalisés sur les sites du JRC en Belgique (Geel), aux Pays-Bas (Petten) et en Italie (Ispra).
Notre travaille sert les autres directions générales de la Commission Européenne concernées en fournissant des preuves techniques, scientifiques et indépendantes en soutien des politiques européennes dans les domaines de la sûreté, de la sécurité et des garanties nucléaires.
A quelle niveau la technologie nucléaire est-elle dangereuse aujourd’hui et comment ses applications se développent-elle?
La technologie nucléaire et ses applications ne sont pas plus dangereuses que d'autres technologies, pourvu que les protocoles et les paramètres de sécurité soient partagés, adoptés et respectés dans le cadre de son développement et exploitation.
Il y a encore beaucoup trop de méfiance et de mauvaise information par rapport à cette technologie dont les multiples emplois et bénéfices sont trop souvent négligés. Un exemple parmi d'autres: nous avons développé depuis 25 ans une méthode de thérapie ciblée du cancer de la prostate basée sur l’utilisation d’un élément chimique émettant des particules alpha (à savoir un radio-isotope). Il s’agit donc d’une technique de traitement nucléaire tirant parti d’une molécule ciblée de cellules tumorales. La particularité de cette thérapie est de tuer sélectivement les cellules tumorales avec des effets secondaires très limités. Cela signifie que seules les cellules tumorales sont attaquées et que les tissus sains ne sont pas affectés, contrairement à la chimiothérapie. Les résultats sont jusqu'à present époustouflants et la technique pourrait être utilisée dans un futur proche également pour le traitement des maladies virales comme par exemple l'HIV.
Combien de femmes travaillent dans ce secteur?
Le secteur de la recherche nucléaire, comme il est souvent le cas pour tout environnement scientifique et technique, est un milieu à forte majorité masculine. Néanmoins dans ces dernières années, grâce aussi à des politiques d'éducation et de recrutement davantage inclusives et égalitaires, de plus en plus de femmes décident d’entreprendre une carrière dans le monde de l’énergie. Selon l'association Women In Nuclear Europe l’augmentation du nombre de femmes qui travaillent dans le domaine du nucléaire est en progression et en 2015 se rapprochait des 20%. Il faut néanmoins continuer à encourager et orienter les étudiantes vers des études, puis des carrières scientifiques ou techniques et promouvoir les femmes dans les métiers de l’industrie nucléaire, en les informant sur la filière nucléaire, ses métiers et ses cursus.
Quel sont les difficultés que les femmes spécialisées qui veulent travailler dans ce secteur rencontrent?
Travailler dans un laboratoire de recherche nucléaire est une expérience qui peut s'avérer épuisante. Le travail est parfois très physique. Utiliser les manipulateurs dans les boites à gants sous atmosphère modifiée par exemple n'est pas toujours évident. Néanmoins ce genre de travail demande aussi un très haut niveau de concentration et discipline et grâce à mon expérience en tant que chef de laboratoire j'ai pu remarquer dans le temps que les femmes peuvent s'adapter très rapidement aux contraintes de cet environnement et qu'elles apportent beaucoup dans une équipe en termes de précision et engagement.
Auriez-vous des conseils pour les jeunes qui aimeraient entreprendre ce type de carrière?
Chaque femme devrait tout d'abord être consciente que ce secteur est extrêmement exigeant. En s'interrogeant sur les profondes motivations à la base de son choix et sur les moyens les plus efficaces d’exploiter ses talents et de saisir les nombreuses opportunités à sa portée en tant que femme et professionnelle, j'aimerais que chaque femme réfléchisse au pouvoir de l’affirmation de soi.
La théorie de l'auto-affirmation est une théorie psychologique qui se concentre sur la manière dont les individus s'adaptent aux informations ou aux expériences qui menacent leur image de soi. Les stéréotypes féminins négatifs persistants ainsi que le style de travail malheureusement encore très masculin dans ce secteur (et au-delà) nous empêchent tous de reconnaître, d'adopter et de mettre en avant notre propre style de travail qui correspond à notre personnalité unique, au-delà du genre.
Naturellement, les femmes ont de nombreuses caractéristiques, expériences et sentiments communs qui rendent leur approche professionnelle si particulière. C'est ce qui inspire la solidarité féminine renouvelée et précieuse.
Dans ce terrain commun, combiné à votre touche personnelle et à votre motivation à travailler dans le domaine nucléaire, vous trouverez votre voie.
Voulez-vous parler de votre rôle comme femme dans la Commission?
La Commission Européenne est une institution qui a fait de l'égalité de genre et de l'inclusion sa devise. Je me suis toujours sentie soutenue dans mon travail et dans ma carrière. Je pense que le jugement qu'on porte sur un individu dans cette institution c'est tout d'abord centré sur son attitude, sa personnalité et ses capacités et c'est dans cet esprit que chaque jour je dirige ma Direction. D'autre part je pense que le rôle d'une femme est aussi celui de promouvoir une culture d'entraide. Je suis fière de faire partie en tant que mentor principal d'un programme créé au sein de la Commission Européenne afin de promouvoir les capacités managériales des femmes et d'établir un réseau pour le partage d'expériences.
Vous avez accepté de participer dans le Comité qui, chaque année, se réuni pour choisir la Femme primée parmi les nombreuses candidates; qu’est-ce qui vous intéresse le plus de ce prix?
Ce prix représente à mon avis l'occasion pour se rapprocher et découvrir l'œuvre de femmes très talentueuses qui, grâce à cette initiative, peuvent inspirer d'autres femmes à poursuivre leurs projets et marquer cette époque en contribuant ainsi au développement durable de notre société.
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